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Quelles sont les différences entre FinOps et GreenIT ?

Rédigé par Édouard Siha | 09/11/2022

Est-ce que les démarches FinOps et GreenIT sont deux faces de la même pièce ? La réponse courte est : non, bien qu’une démarche FinOps puisse aller dans le même sens qu’une partie de celle du GreenIT, elle peut tout aussi bien lui être diamétralement opposée.

Définitions et première approche

La démarche FinOps, ainsi que la culture associée, est une approche itérative de l’intégration de la gestion financière des ressources Cloud au sein des équipes métier pluridisciplinaires. Basée sur la mesure, elle a pour but de réaliser les meilleurs investissements d’un point de vue de l’infrastructure mobilisée chez des Cloud Providers, avec pour conséquence notable une optimisation des coûts.

À première vue, diminuer les coûts d’infrastructure semble rejoindre la démarche GreenIT. En effet, avec les modèles Cloud “pay what you use” et “pay what you request”, diminuer la facture globale signifie monopoliser moins de ressources, donc une empreinte environnementale moindre. En y ajoutant l’argument « le Cloud permet de mutualiser des ressources sous-exploitées dans des centres de données auparavant isolés car détenus par une multitude d’entreprises », on pourrait facilement imaginer le Cloud comme la solution miracle aux problématiques du GreenIT. La réalité est plus compliquée.

Le GreenIT est une démarche d’amélioration continue visant à réduire l’empreinte du numérique, à la fois d’un point de vue environnemental, économique et social. Basée sur la mesure, elle utilise le numérique comme un allié dans l’action climatique et la transformation de la société tout en cherchant à réduire les fractures numériques. Notons qu’au fil du temps, la démarche s’est retrouvée déclinée en différents périmètres de taille croissante et affiliée à des démarches voisines (IT for Good, IT for Green, Fair IT). Pour cette raison, il est souvent préférable d’employer le terme « Numérique Responsable », qui a tendance à englober l’ensemble.

Les convergences

Les raisons de vouloir rapprocher FinOps du Numérique Responsable sont nombreuses. D’abord, les deux démarches adoptent une approche itérative pour adapter la stratégie aux résultats déjà obtenus : les erreurs de trajectoire peuvent être corrigées au plus tôt, à un coût/impact moindre et les réussites utilisées comme tremplin pour prolonger l’effort.

Ensuite, FinOps comme Numérique Responsable placent la mesure comme prérequis à l’amélioration, conscients que le dogme peut s'immiscer à tout instant dans nos réflexions et actions. On trouve facilement des références à des maximes comme « mesure ce qui est mesurable, rends mesurable ce qui ne l’est pas »1 ou « ne peut être amélioré que ce qui est mesurable »2 ainsi qu’à la démarche scientifique pour expliquer la pertinence de l’approche dans les travaux de présentation et vulgarisation des deux démarches.

Enfin, la projection d’une diminution de l’empreinte environnementale par la diminution des coûts d’infrastructure peut être vue comme un levier de mise en œuvre du Numérique Responsable au travers d’une démarche déjà implantée. Le fait que la majorité des émissions de gaz à effet de serre des centres de données est issue de leur utilisation (versus leur fabrication)3 donne un poids supplémentaire à ce rapprochement pour les services Clouds facturés par unité réservée (“pay what you request” ou “pay as you go”) : machines virtuelles, services managés Kubernetes, bases de données, etc.

Les divergences

Concevoir une démarche FinOps comme une implémentation de la démarche Numérique Responsable pour le Cloud se heurte cependant rapidement à au moins deux failles béantes.

J’écarte le fait que les petites structures n’ont souvent pas de démarche FinOps en place car l’énergie à dépenser est trop importante au regard des gains espérés pour elles. Multipliés par le nombre de petites structures, les gains globaux pourraient pourtant se révéler importants, mais la faute est attribuable au modèle de facturation par unité réservée, pas à la démarche FinOps.

Imaginons qu’un Cloud Provider propose les mêmes services sur deux centres de données différents, l’un situé en France, l’autre situé en Pologne. Imaginons ensuite que les tarifs de certains de ces services soient modifiés de sorte que le centre Polonais devienne plus compétitif que le centre Français. Des utilisateurs ayant intégré une démarche et une culture FinOps seraient alors incités à déplacer leur charge de travail sur le centre Polonais. Là où le bât blesse, c’est que l’intensité carbone de la production d’électricité est, en moyenne, de 64 gCO2eq / kWh en France4 contre 6405 en Pologne6.

En suivant une démarche FinOps, on peut facilement multiplier par 10 l’intensité carbone de l’électricité nécessaire pour faire fonctionner nos services.

Dans un autre scénario, imaginons une entreprise dans laquelle la démarche FinOps est bien implantée depuis quelques années, si bien que les discussions s’orientent vers les possibilités de déporter de la charge de calcul des centres de données vers les terminaux des utilisateurs : ordinateurs et smartphones. La démarche est pleine de sens d’un point de vue FinOps puisque la diminution de la charge de calcul côté serveur va pouvoir entraîner des économies substantielles sur les coûts d’infrastructure… sauf que l’empreinte environnementale du numérique est portée à plus de 80% par la fabrication des terminaux des utilisateurs7. Déporter de la charge de calcul sur ces terminaux, c’est accélérer leur obsolescence matérielle donc la fréquence à laquelle ils doivent être remplacés pour continuer à profiter des mêmes services dans des conditions acceptables.

En suivant une démarche FinOps, on peut facilement empirer l’impact du numérique d’un point de vue environnemental, mais aussi social puisque les personnes en mesure de renouveler fréquemment leurs terminaux sont minoritaires.

Conclusion

Considérer la démarche FinOps comme suffisante pour prendre en compte les problématiques du Numérique Responsable restreintes à l’utilisation de services Cloud peut être tentant lorsqu’on limite sa réflexion au « cas passant ». Cependant, les deux démarches sont bien distinctes et leur apparente convergence sur certains aspects ne doit pas occulter les cas où elles s’opposent.

Par ailleurs, la pauvreté et l’opacité des moyens de mesure de l’empreinte environnementale mis en place actuellement par les Cloud Providers n’aide pas à approfondir la réflexion et l’action, surtout quand on les met en regard de ce qu’il est possible d’analyser sur les factures que nous émettent les Cloud Providers.

Je pressens qu’à l’avenir, les grands Cloud Providers continueront d’être réticents à l’idée de davantage de mesurabilité et de transparence concernant l’empreinte environnementale des services qu’ils proposent. À nous donc d’œuvrer pour qu’un cadre légal contraignant, à l’instar du RGPD pour la protection des données, vienne débloquer la situation.

 

  1. Généralement attribué à Galilée.
  2. Généralement attribué à Lord Kelvin, Karl Pearson ou Thomas S Monson
  3. Étude iNUM2020 — GreenIT.fr, page 10
  4. Sur l’année 2021, d’après https://app.electricitymaps.com/zone/FR (cliquer sur « 5 ans » dans l’encart en bas à gauche « display data from the past »)
  5. Sur l’année 2021, d’après https://app.electricitymaps.com/zone/PL (cliquer sur « 5 ans » dans l’encart en bas à gauche « display data from the past »)
  6. Le facteur 10 tombe juste par coïncidence.
  7. Étude iNUM2020 — GreenIT.fr, page 11