Contactez-nous
-
Platform Engineering

Golden Path, Golden Cages, Paved Roads, Guardrails : Autonomiser ou enfermer

Golden Path, Golden Cages, Paved Roads, Guardrails : Autonomiser ou enfermer
Golden Path, Golden Cages, Paved Roads, Guardrails : Autonomiser ou enfermer
11:42

Sommaire

Les méthodologies de travail qui ont émergé ces dernières années — qu’elles soient issues des approches agiles ou du mouvement DevOps — ont fait de l’autonomie des équipes un principe cardinal. Mais à mesure que cette autonomie s’est installée, l’écosystème technologique s’est fragmenté. Langages, frameworks, outils, patterns : la diversité a explosé. La complexité, elle, a évolué de façon exponentielle.

Il est loin, le temps où certaines entreprises développaient leur propre framework au-dessus d’Hibernate pour cadrer leurs développements Java. À l’inverse, certaines organisations comme Spotify en sont même venues à pratiquer le Rumour Driven Development : une méthodologie informelle basée sur la tradition orale — et l’espoir qu’une autre équipe, quelque part, a déjà défriché le terrain.

Mais ces traditions ne passent pas à l’échelle. Ou du moins, très mal. Il a donc fallu repenser la manière d’encadrer l’innovation tout en préservant la productivité. C’est dans cette tension que s’est imposée l’approche Platform Engineering : une solution pour aligner autonomie et cohérence technologique à large échelle.

D’abord, en mettant à disposition des équipes des outils choisis, supportés et maintenus. On parle alors d’enablers techniques. Mais très vite, cette approche montre ses limites : chaque équipe a ses besoins, ses stacks, ses contraintes. Et les équipes plateformes passent un temps considérable à faire du support plus qu’à créer de la valeur.

La deuxième étape a donc été de rendre ces outils découvrables et plus faciles à utiliser. C’est tout l’enjeu des Software Catalogs, propulsés par des portails comme Backstage ou Port. Le self-service devient une réalité, mais la fragmentation, elle, persiste.

C’est de ce constat qu’est né le concept de Golden Path : une méthode standardisée pour démarrer un projet dans un cadre clair, avec un outillage adapté, documenté, maintenu, et pensé pour être simple à prendre en main. Une voie pavée, lumineuse, rassurante. Une autoroute bien balisée au milieu d’un écosystème qui ressemble parfois à une jungle impénétrable.

Mais à trop vouloir guider, ne risque-t-on pas d’enfermer ?
Une voie bien tracée peut-elle devenir un couloir étroit ?
Jusqu’où peut-on standardiser sans brider la créativité ?
Autonomiser… ou enfermer ?

Tracer le chemin : pourquoi les Golden Paths sont devenus essentiels

L'innovation a besoin de liberté, certes. Mais la liberté, sans structure, peut très vite virer au chaos. Les Golden Paths ne sont pas nés d'une volonté de contrôle, mais d'un besoin vital : celui de permettre aux équipes de se concentrer sur la valeur produit, sans se perdre dans la jungle technique.

Le chaos post-DevOps

Imaginez une ville où chaque rue serait construite selon les envies du moment, sans plan global, sans code de la route. Ce serait invivable. C’est ce qui arrive dans certaines organisations : une multiplication des choix techniques, des pratiques hétérogènes, et au final, un terrain miné pour quiconque change d’équipe ou reprend un projet existant. On estime que 30 % du temps des développeurs peut être gaspillé à naviguer dans cette complexité inutile. Le ROI (Return On Investment) est alors vite trouvé.

La plateforme comme facilitateur

Dans ce contexte, les équipes plateformes jouent le rôle d’urbanistes : elles définissent les grandes lignes, les carrefours, les lignes de bus. Elles ne contrôlent pas les trajets, mais elles s’assurent que la ville fonctionne. En structurant l’infrastructure et les outils, elles permettent aux développeurs de se concentrer sur ce qui compte : la création de valeur. Une plateforme efficiente (comme celle de Netflix) permet de réduire les temps “improductifs” de plus de moitié.

Golden Path : accélérateur de confiance

Un bon Golden Path, c’est comme une ligne TGV pour le développement : rapide, fiable, confortable. Il permet à une équipe de démarrer un service en quelques minutes, avec toutes les bonnes pratiques embarquées : sécurité, observabilité, conformité, performance. Spotify, confronté à une fragmentation extrême, a instauré ces chemins dorés accompagnés de tutoriels clairs, comme des guides Michelin de l’ingénierie. Résultat : les équipes gagnent en autonomie tout en restant alignées.

Ce chemin n’a pas été tracé en quelques jours. Il provient d’un long processus créatif. Le premier Golden Path a été créé lors d’un Hackathon, pour une équipe de 8 personnes qui souhaitaient “fluidifier l’expérience des équipes de développement”.

Les équipes s’en sont emparé, et ont même construit Backstage, un outil Open Source destiné à servir de vitrine à ces Golden Path sans lesquels ils ne s’imaginent plus vivre aujourd’hui.

Paved Roads, Guardrails… ou Golden Cages ?

Les Golden Paths, à première vue, semblent la réponse idéale : tout est plus fluide, plus rapide, plus robuste. Mais dans la quête de simplification, le risque est grand de tomber dans l’excès inverse. Car ce qui devait être un chemin devient parfois une cage dorée.

Quand guider devient contraindre

C’est un peu comme vouloir faire du vélo sur une piste cyclable… avec des barrières sur les côtés et un seul itinéraire possible. Ce qui était censé aider devient étouffant. Si les chemins imposent un cadre trop rigide, les développeurs les évitent ou les contournent, souvent au prix d’une dette technique cachée voire d’une institutionnalisation du Shadow IT. Un standard interne jugé inadapté au contexte deviendra un (en)jeu de contournement.

L’illusion du “one-size-fits-all”

On ne construit pas une piste d’atterrissage comme on construit une piste cyclable. De la même façon, on n’héberge pas une application trois tiers hautement disponible comme un Data Lab éphémère. Certains projets ont besoin de flexibilité, de latitudes techniques. Or, lorsqu’un Golden Path est conçu pour des cas génériques, il peut se révéler contre-productif pour des projets innovants ou expérimentaux. Dans certaines entreprises, l’impossibilité de sortir du cadre a poussé des équipes à répliquer en secret leurs propres stacks, créant une “shadow platform” difficile à maintenir et à réintégrer dans une démarche globale.

Gouverner sans fliquer

Il est tentant de transformer les guardrails en murs. Mais ce n’est pas leur rôle. Une bonne gouvernance, c’est comme une rambarde sur un sentier de montagne : elle sécurise le passage sans gêner la vue. La confiance prime sur le contrôle. Spotify l’a compris : toute équipe peut sortir du Golden Path, tant qu’elle assume ses choix et partage ses retours. Cette ouverture permet d’enrichir le chemin commun et d’éviter le dogmatisme.

Il est même probable, voire souhaitable, que les équipes partagent leurs avancées, et participent de manière volontaire à la plateforme, ouvrant de nouveaux chemins, mettant à la disposition de tous leur expérience unique.

C’est à l’équipe Plateforme de définir les modes de collaborations, les grands patterns de contribution. Les projets Open Source sont généralement une excellente source d’inspiration.

Trouver l’équilibre : entre empowerment et encadrement

C’est là tout l’art du Platform Engineering : construire un environnement qui inspire confiance, sans aliéner. Créer des chemins clairs, mais jamais des impasses.

Des chemins, pas des tunnels

Un Golden Path ne doit jamais être une ligne à grande vitesse sans aiguillage. Il doit rester une proposition, pas une obligation. Donner envie de l’emprunter plutôt que forcer son adoption. L’existence de voies alternatives n’est pas un défaut : c’est une garantie de résilience.

Le choix comme moteur d’adoption

Comme tout bon produit, un Golden Path doit séduire. Il doit résoudre un vrai problème, être agréable à utiliser, et évoluer avec le temps. Chez Airbnb, la plateforme de développement interne intègre des “escape hatches” documentés, qui permettent à une équipe d’innover tout en respectant le cadre général. Résultat : une adoption organique et durable.

La plateforme comme produit, les devs comme clients

La plateforme n’est pas un département IT. C’est un fournisseur de services. Les développeurs sont ses clients. Écoute, feedback, expérimentation : ce sont les ingrédients d’une plateforme vivante. Selon une étude de Humanitec, les entreprises qui traitent leur plateforme comme un produit obtiennent un taux d’adoption 3 fois supérieur à celles qui la voient comme une infrastructure imposée.

La déclinaison sur nos plateformes internes, et ce que nous en avons appris.

Sur notre plateforme OXP, nous avons choisi une stack d’outils Open Source qui connaissent une large adoption dans la communauté. Mais comme tout outil, la prise en main est parfois plus compliquée qu’un simple service SaaS. Nous avons donc fait le choix de rendre ces outils optionnels, à travers un mécanisme de FeatureFlag directement piloté par ArgoCD.

Prenons un exemple : nous avons fait le choix fort de proposer un stockage objet basé sur MinIO, directement au sein du cluster Kubernetes, plutôt que d’utiliser le service S3 natif de notre Cloud Provider. Ce choix implique que les équipes comprennent et maîtrisent les mécanismes de résilience multi-zones à l’intérieur du cluster. Un effort supplémentaire, là où un service managé aurait masqué cette complexité.

Mais nous avons prévu une échappatoire. Si une équipe préfère utiliser le service S3 de son cloud provider, elle n’a qu’un simple flag à modifier. Le service MinIO ne sera pas déployé, et le chart Helm pointera vers une ressource externe, avec la gestion adaptée des credentials.

Ce modèle de flexibilité n’est pas neutre : il complexifie notre plateforme, ajoute des scénarios de déploiement supplémentaires, et demande une documentation très rigoureuse. Mais c’est à ce prix que nous avons pu répondre aux attentes d’une population de développeurs exigeants, habitués aux standards de qualité des meilleurs outils SaaS. Et c’est en acceptant cette complexité que nous avons gagné leur confiance.

Conclusion

Les Golden Paths sont une réponse à un paradoxe moderne : comment offrir de la liberté sans engendrer le chaos, comment encadrer sans étouffer. Ce ne sont ni des ordres de marche ni des lignes rouges, mais des invitations au confort, à l'efficacité et à l'excellence partagée.

Ils incarnent une philosophie : celle du compagnonnage numérique. Comme un guide de haute montagne, la plateforme montre le chemin le plus sûr, le plus rapide, mais elle n'empêche pas l'exploration. Elle donne les cordes, les pitons, les cartes — mais jamais ne retire le choix de la voie.

En développant nos plateformes internes, nous avons appris que ce sont moins les outils que les postures qui comptent. Offrir des échappatoires, reconnaître la diversité des besoins, accepter l'effort supplémentaire de la flexibilité : voilà le prix à payer pour une adoption sincère. Car au fond, l’autonomie n’est pas l’absence de cadre, mais la possibilité de s’en émanciper intelligemment.

Dans un monde technologique en perpétuel mouvement, où la tentation du contrôle guette chaque organisation en croissance, maintenir cet équilibre est un art. C’est cet art que nous devons cultiver. Car plus que des routes pavées, ce dont les développeurs ont besoin, c’est de chemins de traverse possibles.